Régis Boyer et la littérature scandinave.
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Régis Boyer et la littérature scandinave.
Boujou.
Professeur, spécialiste émérite des Vikings, traducteur des grandes sagas islandaises, Régis Boyer décrypte les lettres danoises, suédoises, norvégiennes à l'occasion du Salon du livre, consacré cette année aux lettres nordiques.
Cela avait-il un sens d'inviter ensemble les auteurs de cinq pays nordiques ?
Oui, mais attention, parmi les cinq, il y a la Finlande, qui n'est pas un pays scandinave. On y parle une langue à part, finno-ougrienne, que personne ne comprend. Seulement, la Finlande a été colonisée par la Suède pendant six siècles, donc il existe une littérature finlandaise en suédois, très différente cependant des autres. C'est en Islande, vers les XIIe-XIIIe siècles, que sont nées les littératures nordiques dans leur ensemble. Les grandes mythologies, les sagas, l'extraordinaire poésie skaldique ont été écrites en islandais. On explique en partie ce miracle islandais par le mélange des cultures, scandinave et celte, de ses premiers habitants, en 874. Aujourd'hui, l'islandais est le latin du suédois, du danois et du norvégien.
Cette matrice commune entraîne-t-elle des ressemblances ?
Les Scandinaves sont des cousins germains. Ils s'entre-comprennent, s'entre-lisent. En fait, il règne entre eux une sorte d'attraction-répulsion, car leurs histoires ont été imbriquées : la Suède, à un moment, possédait toute la Finlande ; le Danemark, ancienne grande nation, a régné sur la Norvège, l'Islande et le sud de la Suède ; la Norvège était, au XIIIe siècle, l'un des grands pays de l'Europe, son roi traitait de pair avec Saint Louis. Ils sont tous d'ailleurs nostalgiques de cette "époque de la grandeur".
D'où une littérature assez semblable ?
Oui, leurs auteurs procèdent aux mêmes choix de thèmes et de traitement et ont, surtout, la même vision de l'homme, de la vie, du monde. Leur talent majeur est narratif : ils pratiquent l'art de conter, de raconter. Leur littérature, quel que soit le genre envisagé, raconte quelque chose. Leurs plus grands écrivains, le Danois Andersen, la Suédoise Selma Lagerlof, le Norvégien Knut Hamsun sont des narrateurs. Même les dramaturges (Ibsen, Strindberg, Jon Fosse) racontent une histoire. Enfin, ce ne sont pas des écrivains abstraits, à la française, ils sont à l'aise dans le concret, sont très proches de la nature - quand ils font un petit tour, c'est 20 kilomètres, à pied ! La mer, les rivières, la neige sont omniprésentes. Ainsi, le décor joue un rôle majeur dans leur inspiration comme dans leur poésie, qui est très active. On lit de la poésie à la radio tous les jours !
Le décor tient donc plus de la nature que de l'urbanité ?
Bien sûr. Vous avez là au total une population d'à peine 19 millions (9 millions de Suédois, 5 de Danois, 4 et quel-ques de Norvégiens) sur des surfaces immenses - pas toujours habitables, certes. La culture urbaine progresse, mais ils l'affrontent difficilement et n'échappent pas à la boisson, à la drogue. Cela dit, ces Germains sont des hommes d'ordre, de loi et d'action. Ils obéissent, appliquent. N'oublions pas que l'oeuvre principale de Kierkegaard s'appelle Enten-Eller, c'est-à-dire Ou bien... ou bien : tu choisis le Christ ou tu choisis le Diable, il n'y a pas d'autre alternative.
Y a-t-il des sujets tabous ?
Plus maintenant, mais les Scandinaves ont longtemps été des luthériens et donc des puritains, voire des piétistes. Ce qui entraînait des contraintes morales et sexuelles notables. Pendant des siècles, il a fallu faire attention au regard d'autrui - le critère absolu - et rester fidèle à l'orthodoxie religieuse. C'est pour cela que l'on voit aujourd'hui une telle réaction contre la morale et la sexualité traditionnelles.
Peut-on caractériser chacune de ces cultures ?
Oui, les Danois, frontaliers de l'Allemagne, sont beaucoup plus européens, plus ouverts à la problématique européenne de la modernité. Les Suédois sont des gens chics, très élitistes, un peu enfermés dans leur passé. Les Norvégiens, plus rustres, manquent de souplesse, de nuance, mais ils sont intéressés par ce qu'il y a de fondamental en nous et sont très proches de l'âme humaine - le héros norvégien est souvent un simple d'esprit, un enfant, un animal. Les Islandais, eux, sont les intellectuels du lot, ils conversent sur les idées, les tendances, la politique.
Depuis quelques années, le polar semble être une spécialité scandinave. Que pensez-vous du succès mondial de leurs auteurs ?
C'est étonnant car ce ne sont pas du tout des maîtres du polar, à l'inverse des Américains. La vogue est née avec Henning Mankell. Quand son traducteur, Philippe Bouquet, s'est aperçu que cela plaisait, il a proposé d'autres traductions aux éditeurs, qui se sont tous précipités sur les auteurs de polars. Larsson, Läckberg, c'est pas mal, mais ils ne sont pas les plus grands prosateurs scandinaves. J'ai rencontré l'autre jour Indridason, un très bon écrivain à qui j'ai reproché de donner dans cette mode ; il m'a répondu que s'il écrivait un "vrai" roman, cela lui rapporterait beaucoup moins de couronnes. Mais quid de la tradition de la belle prose, du récit bien fait ? Globalement, les romanciers d'aujourd'hui, victimes de leur popularité, sont un peu trop prolixes et dispersés. C'est un peu comme les meubles Ikea, dont la devise est : "De l'idée avec de la qualité." Je crains que l'idée reste mais que la qualité ne s'étiole.
Marianne Payot. L'Express.
Professeur, spécialiste émérite des Vikings, traducteur des grandes sagas islandaises, Régis Boyer décrypte les lettres danoises, suédoises, norvégiennes à l'occasion du Salon du livre, consacré cette année aux lettres nordiques.
Cela avait-il un sens d'inviter ensemble les auteurs de cinq pays nordiques ?
Oui, mais attention, parmi les cinq, il y a la Finlande, qui n'est pas un pays scandinave. On y parle une langue à part, finno-ougrienne, que personne ne comprend. Seulement, la Finlande a été colonisée par la Suède pendant six siècles, donc il existe une littérature finlandaise en suédois, très différente cependant des autres. C'est en Islande, vers les XIIe-XIIIe siècles, que sont nées les littératures nordiques dans leur ensemble. Les grandes mythologies, les sagas, l'extraordinaire poésie skaldique ont été écrites en islandais. On explique en partie ce miracle islandais par le mélange des cultures, scandinave et celte, de ses premiers habitants, en 874. Aujourd'hui, l'islandais est le latin du suédois, du danois et du norvégien.
Cette matrice commune entraîne-t-elle des ressemblances ?
Les Scandinaves sont des cousins germains. Ils s'entre-comprennent, s'entre-lisent. En fait, il règne entre eux une sorte d'attraction-répulsion, car leurs histoires ont été imbriquées : la Suède, à un moment, possédait toute la Finlande ; le Danemark, ancienne grande nation, a régné sur la Norvège, l'Islande et le sud de la Suède ; la Norvège était, au XIIIe siècle, l'un des grands pays de l'Europe, son roi traitait de pair avec Saint Louis. Ils sont tous d'ailleurs nostalgiques de cette "époque de la grandeur".
D'où une littérature assez semblable ?
Oui, leurs auteurs procèdent aux mêmes choix de thèmes et de traitement et ont, surtout, la même vision de l'homme, de la vie, du monde. Leur talent majeur est narratif : ils pratiquent l'art de conter, de raconter. Leur littérature, quel que soit le genre envisagé, raconte quelque chose. Leurs plus grands écrivains, le Danois Andersen, la Suédoise Selma Lagerlof, le Norvégien Knut Hamsun sont des narrateurs. Même les dramaturges (Ibsen, Strindberg, Jon Fosse) racontent une histoire. Enfin, ce ne sont pas des écrivains abstraits, à la française, ils sont à l'aise dans le concret, sont très proches de la nature - quand ils font un petit tour, c'est 20 kilomètres, à pied ! La mer, les rivières, la neige sont omniprésentes. Ainsi, le décor joue un rôle majeur dans leur inspiration comme dans leur poésie, qui est très active. On lit de la poésie à la radio tous les jours !
Le décor tient donc plus de la nature que de l'urbanité ?
Bien sûr. Vous avez là au total une population d'à peine 19 millions (9 millions de Suédois, 5 de Danois, 4 et quel-ques de Norvégiens) sur des surfaces immenses - pas toujours habitables, certes. La culture urbaine progresse, mais ils l'affrontent difficilement et n'échappent pas à la boisson, à la drogue. Cela dit, ces Germains sont des hommes d'ordre, de loi et d'action. Ils obéissent, appliquent. N'oublions pas que l'oeuvre principale de Kierkegaard s'appelle Enten-Eller, c'est-à-dire Ou bien... ou bien : tu choisis le Christ ou tu choisis le Diable, il n'y a pas d'autre alternative.
Y a-t-il des sujets tabous ?
Plus maintenant, mais les Scandinaves ont longtemps été des luthériens et donc des puritains, voire des piétistes. Ce qui entraînait des contraintes morales et sexuelles notables. Pendant des siècles, il a fallu faire attention au regard d'autrui - le critère absolu - et rester fidèle à l'orthodoxie religieuse. C'est pour cela que l'on voit aujourd'hui une telle réaction contre la morale et la sexualité traditionnelles.
Peut-on caractériser chacune de ces cultures ?
Oui, les Danois, frontaliers de l'Allemagne, sont beaucoup plus européens, plus ouverts à la problématique européenne de la modernité. Les Suédois sont des gens chics, très élitistes, un peu enfermés dans leur passé. Les Norvégiens, plus rustres, manquent de souplesse, de nuance, mais ils sont intéressés par ce qu'il y a de fondamental en nous et sont très proches de l'âme humaine - le héros norvégien est souvent un simple d'esprit, un enfant, un animal. Les Islandais, eux, sont les intellectuels du lot, ils conversent sur les idées, les tendances, la politique.
Depuis quelques années, le polar semble être une spécialité scandinave. Que pensez-vous du succès mondial de leurs auteurs ?
C'est étonnant car ce ne sont pas du tout des maîtres du polar, à l'inverse des Américains. La vogue est née avec Henning Mankell. Quand son traducteur, Philippe Bouquet, s'est aperçu que cela plaisait, il a proposé d'autres traductions aux éditeurs, qui se sont tous précipités sur les auteurs de polars. Larsson, Läckberg, c'est pas mal, mais ils ne sont pas les plus grands prosateurs scandinaves. J'ai rencontré l'autre jour Indridason, un très bon écrivain à qui j'ai reproché de donner dans cette mode ; il m'a répondu que s'il écrivait un "vrai" roman, cela lui rapporterait beaucoup moins de couronnes. Mais quid de la tradition de la belle prose, du récit bien fait ? Globalement, les romanciers d'aujourd'hui, victimes de leur popularité, sont un peu trop prolixes et dispersés. C'est un peu comme les meubles Ikea, dont la devise est : "De l'idée avec de la qualité." Je crains que l'idée reste mais que la qualité ne s'étiole.
Marianne Payot. L'Express.
Re: Régis Boyer et la littérature scandinave.
Bon en même temps, c'est juste LE spécialiste français de la Scandinavie et j'peux vous dire qu'on ne parle jamais de la scandinavies ou des vikings sans faire référence à lui à l'université. Même les profs Suédois/Danois/Islandais/Norvégiens parlent tous le temps de lui avec fierté, presque comme si c'était l'un des leurs ^^
Re: Régis Boyer et la littérature scandinave.
Veire mais il a recréé à lui tout seul la véritable identité du viking face à l'imagerie du 19 ème et aux dérives de la première moitié du 20 ème... alors rien que pour cela et
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