Michel ROCARD: "Il faut décoloniser la province!" (1966)
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Michel ROCARD: "Il faut décoloniser la province!" (1966)
Michel ROCARD : « Décoloniser la province » (1966)
Certains discours restent grands car ils demeurent toujours vrais ! En voici un exemple éclatant : un certain Michel ROCARD, qui n’est pas encore secrétaire national du PSU (Parti Socialiste Unifié), prononce un discours pour le colloque de Saint-Brieuc (décembre 1966), colloque qui avait pour objectif de réfléchir à une politique de gauche différente de la vulgate marxiste de l’époque. Cette démarche avait été ouverte au printemps 1966 lors du colloque de Grenoble présidé par Pierre Mendès France. Parmi les thèmes exposés, la valorisation de la société civile et l’approfondissement de la démocratie dans la décentralisation sinon la « régionalisation ». C’est alors que, trois à peine, après la fin de la Guerre d’Algérie, Michel ROCARD lance le slogan « Il faut décoloniser la province ». Le discours et le slogan marquèrent fortement les esprits du temps.
Bonne lecture!
Voici donc quelques larges extraits de ce discours : dans la France néo-bonapartiste sarkozyste de 2010 et dans notre Normandie toujours cassée en deux à 120km à l’Ouest du futur « Grand Paris », le plaidoyer de Michel ROCARD garde toute sa pertinence sinon son impertinence !
1° Principe justifiant la création d’une collectivité territoriale régionale :
« Dès qu’il s’agit de développement régional, il s’agit pour l’essentiel de savoir si l’on peut donner à ce pays une structure démocratique, c’est à dire une structure ou chaque Français éprouve le sentiment que, dans la portion du pays où il a établi son foyer, une autorité connue et accessible a pour responsabilité exclusive d’assurer les conditions nécessaires au bon déroulement de son avenir et de celui de ses enfants »
2° A propos du développement économique régional :
« Autant il est vrai que dans l’état du développement industriel actuel aucune région ne peut fabriquer entièrement tout ce dont elle a besoin, autant il apparaît que l’autonomie de décision de chaque région tient à son aptitude à apporter à l’économie nationale, continentale ou mondiale… »
(Ndlr : la région bonne à tout faire tant espérée dans certains Schémas Régionaux d’Aménagement du Territoire n’existe pas. A fortiori lorsqu’on croit planifier l’avenir économique de deux moitiés de région…)
« Or la quasi-totalité des centres de recherches sont à Paris, les décisions de financement se prennent à Paris, les hommes novateurs se forment à Paris s’ils viennent de Province, et toutes les grandes entreprises françaises ont leur centre de décision à Paris. Le problème se résume donc à ceci : redonner aux régions de France la capacité d’innovation autonome qui leur manque. Cela suppose l’existence de trois facteurs :une volonté de développement, des institutions capables de permettre ce développement et l’infrastructure qui lui est nécessaire. »
(Ndlr : cf. « Rouen, la métropole oubliée…)
« La vie des entreprises est de plus en plus dépendante des services nécessaires à leur fonctionnement : banques, entreprises de génie civil, de réparation et d’entretien, commerces spécialisés, conseils de gestion, conseils fiscaux, agences de publicité et services d’Etat bien étoffés : services de main-d’œuvre, enseignement technique et formation professionnelle, universités, etc… L’absence d’un seul de ces services majeurs créateurs d’avenir peut suffire à retirer l’autonomie de son développement à une région et la ramener dès lors dans le mécanisme général de dépendance cumulative. »
(Ndlr : autrement dit, le colonialisme)
« Il est donc clair que la préservation de la vie régionale et a fortiori son développement exigent une masse de services diversifiés et spécialisés et le recours à une agglomération majeure capable de les fournir tous »
(Ndlr : Rouen, Caen et Le Havre pourraient jouer ensemble ce rôle à l’échelle de toute la Normandie)
3° Pour une vraie régionalisation en France :
« Voilà dix ans que l’expérience française de décentralisation ne porte que sur les unités d’exécution. C’est un échec. »
(Ndlr : mise en place des « Circonscriptions d’Aménagement Régional » et des préfectures régionales en 1956, date à laquelle la Normandie sera officiellement divisée en « Haute » et « Basse »)
« Cela conduit à adopter une démarche différente. Le problème de l’avenir des provinces françaises se pose dramatiquement en termes d’emplois, dans de trop nombreux cas. Mais c’est une mauvaise solution que de le résoudre en amenant à grand coup d’aides publiques des usines isolées dans des zones peu actives, au risque de voir ces usines fermer cinq ans après. »
« Les conditions du plein-emploi sont simples : elles se résument à la possession des institutions créatrices d’avenir. Il en est de quatre sortes :
1° Le système d’enseignement
2° La recherche scientifique
3° Les bureaux d’études
4° Les financements. »
« On peut disposer régionalement des institutions créatrices d’avenir citées ci-dessus, si le pouvoir bancaire ou financier ne suit pas, cela suffit à briser le développement. »
4° Pour une vraie réforme institutionnelle régionale :
« L’autorité du préfet est en fait une couverture commode pour l’apathie locale. La reconnaissance du dynamisme régional suppose la disparition de cet alibi. IL FAUT SUPPRIMER LA TUTELLE ET SURTOUT LE PREFET, institution dont l’équivalent n’existe dans aucun pays avec lesquels nous prétendons rivaliser économiquement. »
« Il est nécessaire d’abord que le niveau des décisions sur place, soit situé de telle manière que la décision ait une chance d’être efficace. Il n’y a que deux niveaux :
- l’agglomération en milieu urbain et le bourg ou village centre en milieu rural.
- La capitale régionale bien développée »
(Ndlr : cela implique le regroupement communal et la création de conseils régionaux forts, forcément au détriment des départements appelés donc à disparaître ce qui n’est pas une bonne chose tant les départements depuis 1790 ont réussi à créer une identité locale. L’enjeu véritable est de coordonner davantage l’action départementale sous l’autorité de la région et de ne pas subordonner l’action de la région aux seuls intérêts départementaux sous l’œil goguenard de préfets qui tiendront finalement les cordons de la bourse si est confirmée l’actuelle réforme des collectivités territoriales…)
« Cela appelle une refonte complète de nos gouvernements locaux qu’en fait la majorité des notables installés refuse avec fermeté. Il y a au demeurant une étonnante complicité entre les forces politiques réactionnaires qui refusent le remodelage territorial du pays et un pouvoir central technocratique qui s’accommode fort bien de cette situation, ne cherche nullement à favoriser le dialogue démocratique avec les administrés, et se contente d’aménager ses structures administratives de décision en fonction des nouveaux besoins sans permettre une véritable participation des intéressés à la décision »
(Ndlr : une vraie régionalisation serait de passer du temps des notables au temps des responsables, sauf que certains élus cumulards, certaines administrations ou certaines entreprises publiques ou privées, voudraient nous faire oublier la nuit du 4 août !)
« Pour que le développement régional soit pris en mains par les intéressés, il faut que ceux-ci restent sur place, connaissent leur région, la vivent et en vivent avec pour principal objectif de contribuer à sa croissance, leur promotion personnelle en résultant. Briser les rites qui font terminer les plupart des carrières à Paris, mettre fin aux avantages financiers associés à ces fins de carrière à Paris, obliger non seulement les fonctionnaires, mais les professeurs d’enseignement supérieur, les architectes et les ingénieurs travaillant pour une région, à y résider, tout cela est sans doute la condition première grâce à laquelle, sous une dizaine d’années, les milieux de vie auront retrouvé la richesse et la vitalité nécessaires pour qu’il leur soit possible d’assumer effectivement la responsabilité du développement de leur région »
(Ndlr : rappelons que près de 5000 jeunes « port-bac » normands quittent chaque année notre région et que le taux d’illettrisme s’élève à plus de 11% dans l’académie de Caen et à plus de 14% dans l’académie de Rouen pour une moyenne nationale de 9%)
5° Un combat politique : « vivre et travailler au pays ! »
« Le développement régional consiste à redonner à la vie régionale, par la liberté des activités qui y naissent, par la volonté des hommes qui de plus en plus pousseront leurs racines sur place, une intensité telle que le développement économique soit le résultat de cette tension générale des énergies. Le combat pour le développement et l’aménagement des régions est un élément aujourd’hui essentiel des luttes de classes. »
« Les milieux bourgeois s’accommodent en effet assez bien des inconvénients de la centralisation leurs parisienne ; par ressources matérielles, par leurs relations, ils savent préserver leurs privilèges et échapper assez largement à la paupérisation régionale ; bien plus, ils y trouvent parfois leurs avantages. Ces avantages divers sont parfaitement connus et ceux qui en bénéficient s’efforcent par tous les moyens de maintenir le statu quo »
(Ndlr : en 2010, l’actuelle crise du logement et la non respect de la loi SRU sur le logement social par certaines communes, ou encore la fuite des médecins vers les zones résidentielles à haut- revenus, illustrent tristement l’actualité de l’analyse du jeune Michel Rocard…)
« La défense des conditions de vie des travailleurs exige donc que des syndicats puissants défendent le niveau des salaires à l’intérieur des entreprises. Mais elle exige de plus en plus que l’urbanisme soit fait avec l’objectif de diminuer les temps moyens de transports entre le domicile et le lieu de travail, que le système d’enseignement et de formation professionnelle des adultes soit adapté avec souplesse aux besoins des économies régionales, que les créations d’entreprises se fassent en essayant de diminuer les courants migratoires vers Paris. Ce combat pour le plein-emploi est la forme actuelle de la lutte des travailleurs en même temps qu’il est le combat pour la démocratie politique et pour la dignité régionale. Cette dernière est totalement niée en France notamment dans le domaine culturel : ce n’est qu’un signe supplémentaire de l’oppression parisienne. »
(Ndlr : c’était au bon vieux temps du plein-emploi des « Trente Glorieuses », avant la grande crise de désindustrialisation et de délocalisation des années 1980- 1990 qui frappa nombre de régions françaises insuffisamment développées ou autonomes, au premier rang desquelles, on trouvera la Normandie divisée de plus en plus réduite au statut peu enviable « d’armoire technique » classée SEVESO de la région parisienne ou de « center park » culturel et naturel pour les Parisiens en week-end…)
« N’est- il cependant pas dangereux d’affaiblir l’agglomération parisienne au profit d’une province qui ne retrouvera jamais le même dynamisme économique de la capitale ? Ne faut-il pas plutôt consolider la puissance économique là où elle est installée, et préserver la centralisation pour faciliter l’exécution des importantes réformes qu’un gouvernement socialiste se devra de réaliser ? Ce serait mal poser le problème. Il n’est en rien question ici de développer également les 21 régions. Elles sont d’ailleurs beaucoup trop nombreuses pour que toutes puissent donner naissance à un développement économique relativement autonome »
(Ndlr : cela vaut tout particulièrement pour les actuelles demi-régions administratives de « Haute » et de « Basse » Normandie qui se partagent, tant bien que mal, le potentiel de la 6ème région de France !)
« Il n’est pas davantage question d’affaiblir Paris en quoi que ce soit, mais simplement de le désencombrer, de prendre les mesures institutionnelles capables de favoriser l’éveil en province d’une conscience économique, et de donner aux représentants des milieux professionnels et sociaux des régions des moyens suffisants pour traduire cette prise de conscience par des mesures précises contribuant au développement. »
« On affirme donc ici que Paris est asphyxié par un appareil industriel et commercial qui n’apporte rien à ses capacités de commandement et d’innovations, que la province manque moins de capitaux que d’hommes désireux d’y rester et que l’animation du développement autonome autour de quelques métropoles régionales est parfaitement possible sans rien soustraire à Paris pourvu qu’il soit provoqué par les intéressés, c’est à dire, par des institutions régionales dotées de l’autonomie et des moyens nécessaires. Si le point de départ de la réflexion est économique, son point d’aboutissement est institutionnel, c’est à dire, purement politique. »
Michel ROCARD
(Ndlr : la politique des « métropoles régionales d’équilibre » qui a été mise en place à l’époque du discours de Rocard a tellement bien réussi que l’on peut parler de « petits Paris de province » répétant à l’échelle régionale les effets pervers de la centralisation. La Normandie ayant trois grandes villes à proposer pour impulser un développement régional et considérée comme « trop proche de Paris » sera la grande oubliée. D’où l’intérêt de faire réapparaître Rouen et un réseau métropolitain normand entre Lille et Nantes à l’Ouest du futur « Grand Paris » qui ne doit pas apparaître comme le prétexte à une recentralisation du pays. C’est donc aux élus et responsables Normands, placés en première ligne, d’agir pour qu’aboutisse enfin la véritable régionalisation et démocratisation des territoires français : dans un « Acte III » de la décentralisation, il faudra donc promouvoir l’esprit de réseau et affirmer l’institution régionale. La Normandie et sa nécessaire « réunification » devient donc, plus que jamais, un laboratoire du courage politique !)
Florestan d'Hudimesnil, le 21/11/10
Certains discours restent grands car ils demeurent toujours vrais ! En voici un exemple éclatant : un certain Michel ROCARD, qui n’est pas encore secrétaire national du PSU (Parti Socialiste Unifié), prononce un discours pour le colloque de Saint-Brieuc (décembre 1966), colloque qui avait pour objectif de réfléchir à une politique de gauche différente de la vulgate marxiste de l’époque. Cette démarche avait été ouverte au printemps 1966 lors du colloque de Grenoble présidé par Pierre Mendès France. Parmi les thèmes exposés, la valorisation de la société civile et l’approfondissement de la démocratie dans la décentralisation sinon la « régionalisation ». C’est alors que, trois à peine, après la fin de la Guerre d’Algérie, Michel ROCARD lance le slogan « Il faut décoloniser la province ». Le discours et le slogan marquèrent fortement les esprits du temps.
Bonne lecture!
Voici donc quelques larges extraits de ce discours : dans la France néo-bonapartiste sarkozyste de 2010 et dans notre Normandie toujours cassée en deux à 120km à l’Ouest du futur « Grand Paris », le plaidoyer de Michel ROCARD garde toute sa pertinence sinon son impertinence !
1° Principe justifiant la création d’une collectivité territoriale régionale :
« Dès qu’il s’agit de développement régional, il s’agit pour l’essentiel de savoir si l’on peut donner à ce pays une structure démocratique, c’est à dire une structure ou chaque Français éprouve le sentiment que, dans la portion du pays où il a établi son foyer, une autorité connue et accessible a pour responsabilité exclusive d’assurer les conditions nécessaires au bon déroulement de son avenir et de celui de ses enfants »
2° A propos du développement économique régional :
« Autant il est vrai que dans l’état du développement industriel actuel aucune région ne peut fabriquer entièrement tout ce dont elle a besoin, autant il apparaît que l’autonomie de décision de chaque région tient à son aptitude à apporter à l’économie nationale, continentale ou mondiale… »
(Ndlr : la région bonne à tout faire tant espérée dans certains Schémas Régionaux d’Aménagement du Territoire n’existe pas. A fortiori lorsqu’on croit planifier l’avenir économique de deux moitiés de région…)
« Or la quasi-totalité des centres de recherches sont à Paris, les décisions de financement se prennent à Paris, les hommes novateurs se forment à Paris s’ils viennent de Province, et toutes les grandes entreprises françaises ont leur centre de décision à Paris. Le problème se résume donc à ceci : redonner aux régions de France la capacité d’innovation autonome qui leur manque. Cela suppose l’existence de trois facteurs :une volonté de développement, des institutions capables de permettre ce développement et l’infrastructure qui lui est nécessaire. »
(Ndlr : cf. « Rouen, la métropole oubliée…)
« La vie des entreprises est de plus en plus dépendante des services nécessaires à leur fonctionnement : banques, entreprises de génie civil, de réparation et d’entretien, commerces spécialisés, conseils de gestion, conseils fiscaux, agences de publicité et services d’Etat bien étoffés : services de main-d’œuvre, enseignement technique et formation professionnelle, universités, etc… L’absence d’un seul de ces services majeurs créateurs d’avenir peut suffire à retirer l’autonomie de son développement à une région et la ramener dès lors dans le mécanisme général de dépendance cumulative. »
(Ndlr : autrement dit, le colonialisme)
« Il est donc clair que la préservation de la vie régionale et a fortiori son développement exigent une masse de services diversifiés et spécialisés et le recours à une agglomération majeure capable de les fournir tous »
(Ndlr : Rouen, Caen et Le Havre pourraient jouer ensemble ce rôle à l’échelle de toute la Normandie)
3° Pour une vraie régionalisation en France :
« Voilà dix ans que l’expérience française de décentralisation ne porte que sur les unités d’exécution. C’est un échec. »
(Ndlr : mise en place des « Circonscriptions d’Aménagement Régional » et des préfectures régionales en 1956, date à laquelle la Normandie sera officiellement divisée en « Haute » et « Basse »)
« Cela conduit à adopter une démarche différente. Le problème de l’avenir des provinces françaises se pose dramatiquement en termes d’emplois, dans de trop nombreux cas. Mais c’est une mauvaise solution que de le résoudre en amenant à grand coup d’aides publiques des usines isolées dans des zones peu actives, au risque de voir ces usines fermer cinq ans après. »
« Les conditions du plein-emploi sont simples : elles se résument à la possession des institutions créatrices d’avenir. Il en est de quatre sortes :
1° Le système d’enseignement
2° La recherche scientifique
3° Les bureaux d’études
4° Les financements. »
« On peut disposer régionalement des institutions créatrices d’avenir citées ci-dessus, si le pouvoir bancaire ou financier ne suit pas, cela suffit à briser le développement. »
4° Pour une vraie réforme institutionnelle régionale :
« L’autorité du préfet est en fait une couverture commode pour l’apathie locale. La reconnaissance du dynamisme régional suppose la disparition de cet alibi. IL FAUT SUPPRIMER LA TUTELLE ET SURTOUT LE PREFET, institution dont l’équivalent n’existe dans aucun pays avec lesquels nous prétendons rivaliser économiquement. »
« Il est nécessaire d’abord que le niveau des décisions sur place, soit situé de telle manière que la décision ait une chance d’être efficace. Il n’y a que deux niveaux :
- l’agglomération en milieu urbain et le bourg ou village centre en milieu rural.
- La capitale régionale bien développée »
(Ndlr : cela implique le regroupement communal et la création de conseils régionaux forts, forcément au détriment des départements appelés donc à disparaître ce qui n’est pas une bonne chose tant les départements depuis 1790 ont réussi à créer une identité locale. L’enjeu véritable est de coordonner davantage l’action départementale sous l’autorité de la région et de ne pas subordonner l’action de la région aux seuls intérêts départementaux sous l’œil goguenard de préfets qui tiendront finalement les cordons de la bourse si est confirmée l’actuelle réforme des collectivités territoriales…)
« Cela appelle une refonte complète de nos gouvernements locaux qu’en fait la majorité des notables installés refuse avec fermeté. Il y a au demeurant une étonnante complicité entre les forces politiques réactionnaires qui refusent le remodelage territorial du pays et un pouvoir central technocratique qui s’accommode fort bien de cette situation, ne cherche nullement à favoriser le dialogue démocratique avec les administrés, et se contente d’aménager ses structures administratives de décision en fonction des nouveaux besoins sans permettre une véritable participation des intéressés à la décision »
(Ndlr : une vraie régionalisation serait de passer du temps des notables au temps des responsables, sauf que certains élus cumulards, certaines administrations ou certaines entreprises publiques ou privées, voudraient nous faire oublier la nuit du 4 août !)
« Pour que le développement régional soit pris en mains par les intéressés, il faut que ceux-ci restent sur place, connaissent leur région, la vivent et en vivent avec pour principal objectif de contribuer à sa croissance, leur promotion personnelle en résultant. Briser les rites qui font terminer les plupart des carrières à Paris, mettre fin aux avantages financiers associés à ces fins de carrière à Paris, obliger non seulement les fonctionnaires, mais les professeurs d’enseignement supérieur, les architectes et les ingénieurs travaillant pour une région, à y résider, tout cela est sans doute la condition première grâce à laquelle, sous une dizaine d’années, les milieux de vie auront retrouvé la richesse et la vitalité nécessaires pour qu’il leur soit possible d’assumer effectivement la responsabilité du développement de leur région »
(Ndlr : rappelons que près de 5000 jeunes « port-bac » normands quittent chaque année notre région et que le taux d’illettrisme s’élève à plus de 11% dans l’académie de Caen et à plus de 14% dans l’académie de Rouen pour une moyenne nationale de 9%)
5° Un combat politique : « vivre et travailler au pays ! »
« Le développement régional consiste à redonner à la vie régionale, par la liberté des activités qui y naissent, par la volonté des hommes qui de plus en plus pousseront leurs racines sur place, une intensité telle que le développement économique soit le résultat de cette tension générale des énergies. Le combat pour le développement et l’aménagement des régions est un élément aujourd’hui essentiel des luttes de classes. »
« Les milieux bourgeois s’accommodent en effet assez bien des inconvénients de la centralisation leurs parisienne ; par ressources matérielles, par leurs relations, ils savent préserver leurs privilèges et échapper assez largement à la paupérisation régionale ; bien plus, ils y trouvent parfois leurs avantages. Ces avantages divers sont parfaitement connus et ceux qui en bénéficient s’efforcent par tous les moyens de maintenir le statu quo »
(Ndlr : en 2010, l’actuelle crise du logement et la non respect de la loi SRU sur le logement social par certaines communes, ou encore la fuite des médecins vers les zones résidentielles à haut- revenus, illustrent tristement l’actualité de l’analyse du jeune Michel Rocard…)
« La défense des conditions de vie des travailleurs exige donc que des syndicats puissants défendent le niveau des salaires à l’intérieur des entreprises. Mais elle exige de plus en plus que l’urbanisme soit fait avec l’objectif de diminuer les temps moyens de transports entre le domicile et le lieu de travail, que le système d’enseignement et de formation professionnelle des adultes soit adapté avec souplesse aux besoins des économies régionales, que les créations d’entreprises se fassent en essayant de diminuer les courants migratoires vers Paris. Ce combat pour le plein-emploi est la forme actuelle de la lutte des travailleurs en même temps qu’il est le combat pour la démocratie politique et pour la dignité régionale. Cette dernière est totalement niée en France notamment dans le domaine culturel : ce n’est qu’un signe supplémentaire de l’oppression parisienne. »
(Ndlr : c’était au bon vieux temps du plein-emploi des « Trente Glorieuses », avant la grande crise de désindustrialisation et de délocalisation des années 1980- 1990 qui frappa nombre de régions françaises insuffisamment développées ou autonomes, au premier rang desquelles, on trouvera la Normandie divisée de plus en plus réduite au statut peu enviable « d’armoire technique » classée SEVESO de la région parisienne ou de « center park » culturel et naturel pour les Parisiens en week-end…)
« N’est- il cependant pas dangereux d’affaiblir l’agglomération parisienne au profit d’une province qui ne retrouvera jamais le même dynamisme économique de la capitale ? Ne faut-il pas plutôt consolider la puissance économique là où elle est installée, et préserver la centralisation pour faciliter l’exécution des importantes réformes qu’un gouvernement socialiste se devra de réaliser ? Ce serait mal poser le problème. Il n’est en rien question ici de développer également les 21 régions. Elles sont d’ailleurs beaucoup trop nombreuses pour que toutes puissent donner naissance à un développement économique relativement autonome »
(Ndlr : cela vaut tout particulièrement pour les actuelles demi-régions administratives de « Haute » et de « Basse » Normandie qui se partagent, tant bien que mal, le potentiel de la 6ème région de France !)
« Il n’est pas davantage question d’affaiblir Paris en quoi que ce soit, mais simplement de le désencombrer, de prendre les mesures institutionnelles capables de favoriser l’éveil en province d’une conscience économique, et de donner aux représentants des milieux professionnels et sociaux des régions des moyens suffisants pour traduire cette prise de conscience par des mesures précises contribuant au développement. »
« On affirme donc ici que Paris est asphyxié par un appareil industriel et commercial qui n’apporte rien à ses capacités de commandement et d’innovations, que la province manque moins de capitaux que d’hommes désireux d’y rester et que l’animation du développement autonome autour de quelques métropoles régionales est parfaitement possible sans rien soustraire à Paris pourvu qu’il soit provoqué par les intéressés, c’est à dire, par des institutions régionales dotées de l’autonomie et des moyens nécessaires. Si le point de départ de la réflexion est économique, son point d’aboutissement est institutionnel, c’est à dire, purement politique. »
Michel ROCARD
(Ndlr : la politique des « métropoles régionales d’équilibre » qui a été mise en place à l’époque du discours de Rocard a tellement bien réussi que l’on peut parler de « petits Paris de province » répétant à l’échelle régionale les effets pervers de la centralisation. La Normandie ayant trois grandes villes à proposer pour impulser un développement régional et considérée comme « trop proche de Paris » sera la grande oubliée. D’où l’intérêt de faire réapparaître Rouen et un réseau métropolitain normand entre Lille et Nantes à l’Ouest du futur « Grand Paris » qui ne doit pas apparaître comme le prétexte à une recentralisation du pays. C’est donc aux élus et responsables Normands, placés en première ligne, d’agir pour qu’aboutisse enfin la véritable régionalisation et démocratisation des territoires français : dans un « Acte III » de la décentralisation, il faudra donc promouvoir l’esprit de réseau et affirmer l’institution régionale. La Normandie et sa nécessaire « réunification » devient donc, plus que jamais, un laboratoire du courage politique !)
Florestan d'Hudimesnil, le 21/11/10
Florestan d'Hudimesnil- Messages : 104
Date d'inscription : 14/09/2009
Re: Michel ROCARD: "Il faut décoloniser la province!" (1966)
Rocard avait déjà raison avec son livre blanc sur les retraites...merci d'avoir ressorti cela aussi!
Malheureusement on a le + souvent tort d'avoir raison!!!!
Malheureusement on a le + souvent tort d'avoir raison!!!!
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