Identité.
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Identité.
Boujou,
La Normandie tente de se forger une identité au travers sa langue, le normand
Identité. Une région peut-elle exister au travers sa langue ? Si le breton, le corse ou le basque sont des langues à part entière, qu’en est-il du normand ? Selon des spécialistes, du pays de Caux aux îles anglo-normandes, quelque trente mille personnes parleraient encore aujourd’hui le normand, une langue romane, à 80 % issue du latin. Pour favoriser et remettre au goût du jour le normand, la Région vient d’offrir des dictionnaires français-normands aux 218 lycées de Normandie. Plongée dans l’histoire de cette langue normande avec les auteurs du dictionnaire.
Les Bretons, les Occitans, les Corses, les Alsaciens sont assez doués pour évoquer leur langue, la mettre en avant, la valoriser, la mettre en scène, et même l’enseigner. Point de tout cela - ou alors de façon très confidentielle - s’agissant du normand. Pas très forts sur le régionalisme, les Normands ont sans doute des leçons à apprendre de leurs voisins, notamment les Bretons. Le territoire normand, porté par une nouvelle entité administrative, pourrait contribuer à trouver, recréer, solidifier une Normandie jusque-là surtout portée par les Vikings (mais c’est un peu loin), le Débarquement du 6 juin 1944 et le Mont-Saint-Michel.
Mais où est donc passée la langue normande, riche de ses patois, de ses mots communs et de ses différences aussi ? La réponse se trouve en partie dans un dictionnaire normand. Parmi les auteurs, Rémi Pézeril, président de l’association Magène et de l’association locale Les Amis du Donjon, et Bernard Desgrippes, auteur du Vocabulaire normand du bocage domfrontais, connu aussi pour ses chroniques hebdomadaires dans un journal donfromtais.
Le normand parlé par 30 000 personnes :
Au menu de ce dictionnaire : 29 000 mots traduits du normand vers le français ; une véritable prouesse qui permet de mieux comprendre le langage des anciens. Et pas loin de 36 000 mots français traduits en normand. « Quoi de mieux pour faire revivre la langue de notre Normandie et permettre aux plus jeunes de s’initier au parler de nos campagnes ? », suggèrent les auteurs. Pour cela, ils ont conduit un travail important de recherche, en plus d’une collecte orale. La plupart des mots sont toujours connus aujourd’hui, même si c’est par un nombre de personnes restreint.
« Le normand est parlé aujourd’hui par 30 000 personnes du Pays de Caux aux îles anglo-normandes. Le normand est une langue romane, à 80 % issue du latin. Elle s’est mâtinée de quelques termes saxons, vikings au gré des apports de l’histoire, expliquent les auteurs. Elle a embarqué avec les Normands partis découvrir le continent américain et se retrouve encore aujourd’hui jusqu’au Québec et dans le parler créole réunionnais. C’est une des principales langues d’oïl, classée parmi les langues sérieusement en danger par l’Unesco ».
Évidemment, cette langue normande n’est pas unique mais multiple, en fonction des territoires. « Elle se scinde en différents parlers. Des variations lexicales peuvent apparaître à très peu de kilomètres de distance. On peut au moins distinguer le cotentinais (Cotentin), le brayon (pays de Bray en Seine Maritime et dans l’Oise), le cauchois (pays de Caux), le nord-cauchois, le Roumois et l’augeron (dans le pays d’Auge), aujourd’hui quasiment disparu », poursuivent les auteurs.
Les Normands, tellement persuadés qu’ils ne possèdent pas une langue mais que des patois subsistent çà et là, ont donc besoin d’explication, d’éclairage sur leur propre héritage culturel. Patois, langues ? « A une époque, pendant longtemps, la France était recouverte de comtés, de duchés, de régions. Et chacun avait sa langue », rappelle Bernard Desgrippes. Picardie, Bretagne, Normandie, Ile-de-France affichaient leur propre dialecte. « Mais au fur et à mesure que ces régions tombaient dans l’escarcelle royale, le Roi de France a imposé le français partout sur le territoire », ajoute l’auteur.
Bernard Desgrippes confie d’ailleurs qu’il s’est posé la question de savoir comment les seigneurs, ducs, abbés communiquaient d’une région à l’autre, et même jusqu’en Angleterre, avant que la France soit unifiée. « Eh bien, c’était en latin ! Aujourd’hui, c’est plutôt en anglais ! Toujours est-il qu’une fois le français devenu obligatoire, dialectes et langages propres aux régions sont passés au rang de patois. Certains mots sont communs à la Normandie, d’autres à des micro-régions ».
Le problème est que les patois normands sont vite montrés du doigt. « Ils marquent une différence de statut social, note Rémi Pézeril. Même si un patois est une langue, il est souvent considéré comme péjoratif. C’était encore le cas dans le Robert il y a dix ans. Ces patois ou langues sont à la dérive, utilisés à la campagne... Voilà pourquoi on préfère employer le mot langue, avec un vocabulaire riche, une grammaire... »
Les patois mal considérés :
Le dictionnaire, qui sera enrichi, vient donc rappeler à quel point les patois normands sont importants. « Ils existent, ils résistent, des gens le parlent, insiste Rémi Pézeril. Pour ma part, je l’ai enseigné dans tous les collèges où je suis passé dans le Cotentin. Et on vient de créer une fédération des dix associations pour la langue normande ». En font partie le collectif Le Pucheux (pays de Conches dans l’Eure) et l’Université rurale cauchoise basée à Yvetot. Et si Le Courrier Cauchois publie chaque semaine une chronique en cauchois, des conteurs, comédiens continuent de faire vivre cette langue en Seine-Maritime. « On essaie de faire connaître les auteurs, les poètes normands complètement inconnus, renchérit Rémi Pézeril. En tout cas, les lycéens rencontrés se sont montrés très intéressés ».
Pour la petite histoire - ou plutôt la grande -, l’histoire retiendra que le Duc de Normandie, devenu Guillaume le Conquérant lorsqu’il fut couronné roi d’Angleterre le 25 décembre 1066 dans la cathédrale de Westminster, fit du normand la langue du pouvoir et qu’elle devint la plus utilisée dans la littérature anglaise aux XIe et XIIe siècles. Le normand méprisé est donc même une des racines de l’anglais.
Marc BRAUN
m.braun@presse-normande.com
La Normandie tente de se forger une identité au travers sa langue, le normand
Identité. Une région peut-elle exister au travers sa langue ? Si le breton, le corse ou le basque sont des langues à part entière, qu’en est-il du normand ? Selon des spécialistes, du pays de Caux aux îles anglo-normandes, quelque trente mille personnes parleraient encore aujourd’hui le normand, une langue romane, à 80 % issue du latin. Pour favoriser et remettre au goût du jour le normand, la Région vient d’offrir des dictionnaires français-normands aux 218 lycées de Normandie. Plongée dans l’histoire de cette langue normande avec les auteurs du dictionnaire.
Les Bretons, les Occitans, les Corses, les Alsaciens sont assez doués pour évoquer leur langue, la mettre en avant, la valoriser, la mettre en scène, et même l’enseigner. Point de tout cela - ou alors de façon très confidentielle - s’agissant du normand. Pas très forts sur le régionalisme, les Normands ont sans doute des leçons à apprendre de leurs voisins, notamment les Bretons. Le territoire normand, porté par une nouvelle entité administrative, pourrait contribuer à trouver, recréer, solidifier une Normandie jusque-là surtout portée par les Vikings (mais c’est un peu loin), le Débarquement du 6 juin 1944 et le Mont-Saint-Michel.
Mais où est donc passée la langue normande, riche de ses patois, de ses mots communs et de ses différences aussi ? La réponse se trouve en partie dans un dictionnaire normand. Parmi les auteurs, Rémi Pézeril, président de l’association Magène et de l’association locale Les Amis du Donjon, et Bernard Desgrippes, auteur du Vocabulaire normand du bocage domfrontais, connu aussi pour ses chroniques hebdomadaires dans un journal donfromtais.
Le normand parlé par 30 000 personnes :
Au menu de ce dictionnaire : 29 000 mots traduits du normand vers le français ; une véritable prouesse qui permet de mieux comprendre le langage des anciens. Et pas loin de 36 000 mots français traduits en normand. « Quoi de mieux pour faire revivre la langue de notre Normandie et permettre aux plus jeunes de s’initier au parler de nos campagnes ? », suggèrent les auteurs. Pour cela, ils ont conduit un travail important de recherche, en plus d’une collecte orale. La plupart des mots sont toujours connus aujourd’hui, même si c’est par un nombre de personnes restreint.
« Le normand est parlé aujourd’hui par 30 000 personnes du Pays de Caux aux îles anglo-normandes. Le normand est une langue romane, à 80 % issue du latin. Elle s’est mâtinée de quelques termes saxons, vikings au gré des apports de l’histoire, expliquent les auteurs. Elle a embarqué avec les Normands partis découvrir le continent américain et se retrouve encore aujourd’hui jusqu’au Québec et dans le parler créole réunionnais. C’est une des principales langues d’oïl, classée parmi les langues sérieusement en danger par l’Unesco ».
Évidemment, cette langue normande n’est pas unique mais multiple, en fonction des territoires. « Elle se scinde en différents parlers. Des variations lexicales peuvent apparaître à très peu de kilomètres de distance. On peut au moins distinguer le cotentinais (Cotentin), le brayon (pays de Bray en Seine Maritime et dans l’Oise), le cauchois (pays de Caux), le nord-cauchois, le Roumois et l’augeron (dans le pays d’Auge), aujourd’hui quasiment disparu », poursuivent les auteurs.
Les Normands, tellement persuadés qu’ils ne possèdent pas une langue mais que des patois subsistent çà et là, ont donc besoin d’explication, d’éclairage sur leur propre héritage culturel. Patois, langues ? « A une époque, pendant longtemps, la France était recouverte de comtés, de duchés, de régions. Et chacun avait sa langue », rappelle Bernard Desgrippes. Picardie, Bretagne, Normandie, Ile-de-France affichaient leur propre dialecte. « Mais au fur et à mesure que ces régions tombaient dans l’escarcelle royale, le Roi de France a imposé le français partout sur le territoire », ajoute l’auteur.
Bernard Desgrippes confie d’ailleurs qu’il s’est posé la question de savoir comment les seigneurs, ducs, abbés communiquaient d’une région à l’autre, et même jusqu’en Angleterre, avant que la France soit unifiée. « Eh bien, c’était en latin ! Aujourd’hui, c’est plutôt en anglais ! Toujours est-il qu’une fois le français devenu obligatoire, dialectes et langages propres aux régions sont passés au rang de patois. Certains mots sont communs à la Normandie, d’autres à des micro-régions ».
Le problème est que les patois normands sont vite montrés du doigt. « Ils marquent une différence de statut social, note Rémi Pézeril. Même si un patois est une langue, il est souvent considéré comme péjoratif. C’était encore le cas dans le Robert il y a dix ans. Ces patois ou langues sont à la dérive, utilisés à la campagne... Voilà pourquoi on préfère employer le mot langue, avec un vocabulaire riche, une grammaire... »
Les patois mal considérés :
Le dictionnaire, qui sera enrichi, vient donc rappeler à quel point les patois normands sont importants. « Ils existent, ils résistent, des gens le parlent, insiste Rémi Pézeril. Pour ma part, je l’ai enseigné dans tous les collèges où je suis passé dans le Cotentin. Et on vient de créer une fédération des dix associations pour la langue normande ». En font partie le collectif Le Pucheux (pays de Conches dans l’Eure) et l’Université rurale cauchoise basée à Yvetot. Et si Le Courrier Cauchois publie chaque semaine une chronique en cauchois, des conteurs, comédiens continuent de faire vivre cette langue en Seine-Maritime. « On essaie de faire connaître les auteurs, les poètes normands complètement inconnus, renchérit Rémi Pézeril. En tout cas, les lycéens rencontrés se sont montrés très intéressés ».
Pour la petite histoire - ou plutôt la grande -, l’histoire retiendra que le Duc de Normandie, devenu Guillaume le Conquérant lorsqu’il fut couronné roi d’Angleterre le 25 décembre 1066 dans la cathédrale de Westminster, fit du normand la langue du pouvoir et qu’elle devint la plus utilisée dans la littérature anglaise aux XIe et XIIe siècles. Le normand méprisé est donc même une des racines de l’anglais.
Marc BRAUN
m.braun@presse-normande.com
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