La crise en chaîne dans un village normand
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La crise en chaîne dans un village normand
La crise en chaîne dans un village normand
Le Canard Enchaîné, 15 avril 2009, page 4
Une grosse boîte qui "dégraisse" et c'est tout le tissu industriel qui maigrit.
Sans parler des services de l'Etat, qui ne digèrent pas.
Sur le rond-point, à l'entrée de Saint-Romain-de-Colbosc, en Seine-Maritime, une bâche noire. En lettres blanches, ces mots : "Plastic Omnium : 220 chômeurs". Plus loin, un cercueil. Puis un autre, juste en face de la gendarmerie. Même message : "220 chômeurs".
C'est jour de marché dans cette bourgade de 4000 habitants près du pont de Tancarville. Yves (les prénoms ont été modifiés) n'y va pas. Ou plutôt n'y va plus. En juin, comme les 219 autres salariés de Plastic Omnium, il sera au chômage. Leur boîte doit fermer. Alors, direction "Le Mutant", un magasin discount installé en périphérie. "C'est moins bon, mais moins cher", s'excuse presque Yves. Entre les rayons pâtes et lait, il croise Bernard, un autre "Plastic", qui le hèle : "Qu'est-ce-que tu fous là ? C'est la crise ou quoi ?" Rire un rien forcé.
Ces deux-là ont participé au blocage de leur boîte, seize jours durant. Les pare-chocs destinés aux voitures Renault ne sortaient plus. Le constructeur était le principal client. A Sandouville, à 10 kilomètres de là, la Régie "dégraisse" aussi... Donc les sous-traitants dégustent. "Pour sauver, à long terme, la filière automobile, il faudrait sauvegarder, à court terme, le réseau des PME qui en dépend, préconise Guillaume Bachelay, conseiller général PS. Sinon, l'effet domino va être dévastateur." Trop tard, peut-être...
Chez le fabricant de pare-chocs, l'accord intervenu entre la direction et les salariés licenciés prévoit que chacun d'entre eux partira avec 18 000 euros, plus 1 600 euros par année de présence. Yves a fait ses calculs. Le montant de sa "cagnotte" avoisinera les 50 000 euros. "Pas le droit de se plaindre. Y'a pire !" Un temps puis : "Avec 50 000 euros, qu'est-ce-que tu veux que je fasse ! C'est pas les parachutes dorés des patrons. Et puis, je suis loin de la retraite..." Non, pas vraiment le gros lot...
Pas de jackpot non plus sur la place du Marché. De quoi désoler le patron de la Maison de la presse. "Lorsqu'ils gagnent 10 euros à un jeu, mes clients les gardent dans leur porte-monnaie. Avant, ils rejouaient." Et le marchand de journaux de pester : "Rien n'a été fait pour protéger les commerçants... Je travaille avec ma femme et on a une salariée. Mais si ça continue... Surtout que les impôts, eux, n'arrêtent pas de grimper." De l'autre côté de la place, la banquière n'est pas rassurante : "Les gens ne souffrent pas encore de la crise, estime-t-elle. Ils ont peur, donc ils font attention. Ils savent que le pire est devant eux, devant nous. Alors, ils font moins de projets." Comme acheter ou faire construire une maison.
(à suivre)
Le Canard Enchaîné, 15 avril 2009, page 4
Une grosse boîte qui "dégraisse" et c'est tout le tissu industriel qui maigrit.
Sans parler des services de l'Etat, qui ne digèrent pas.
Sur le rond-point, à l'entrée de Saint-Romain-de-Colbosc, en Seine-Maritime, une bâche noire. En lettres blanches, ces mots : "Plastic Omnium : 220 chômeurs". Plus loin, un cercueil. Puis un autre, juste en face de la gendarmerie. Même message : "220 chômeurs".
C'est jour de marché dans cette bourgade de 4000 habitants près du pont de Tancarville. Yves (les prénoms ont été modifiés) n'y va pas. Ou plutôt n'y va plus. En juin, comme les 219 autres salariés de Plastic Omnium, il sera au chômage. Leur boîte doit fermer. Alors, direction "Le Mutant", un magasin discount installé en périphérie. "C'est moins bon, mais moins cher", s'excuse presque Yves. Entre les rayons pâtes et lait, il croise Bernard, un autre "Plastic", qui le hèle : "Qu'est-ce-que tu fous là ? C'est la crise ou quoi ?" Rire un rien forcé.
Ces deux-là ont participé au blocage de leur boîte, seize jours durant. Les pare-chocs destinés aux voitures Renault ne sortaient plus. Le constructeur était le principal client. A Sandouville, à 10 kilomètres de là, la Régie "dégraisse" aussi... Donc les sous-traitants dégustent. "Pour sauver, à long terme, la filière automobile, il faudrait sauvegarder, à court terme, le réseau des PME qui en dépend, préconise Guillaume Bachelay, conseiller général PS. Sinon, l'effet domino va être dévastateur." Trop tard, peut-être...
Chez le fabricant de pare-chocs, l'accord intervenu entre la direction et les salariés licenciés prévoit que chacun d'entre eux partira avec 18 000 euros, plus 1 600 euros par année de présence. Yves a fait ses calculs. Le montant de sa "cagnotte" avoisinera les 50 000 euros. "Pas le droit de se plaindre. Y'a pire !" Un temps puis : "Avec 50 000 euros, qu'est-ce-que tu veux que je fasse ! C'est pas les parachutes dorés des patrons. Et puis, je suis loin de la retraite..." Non, pas vraiment le gros lot...
Pas de jackpot non plus sur la place du Marché. De quoi désoler le patron de la Maison de la presse. "Lorsqu'ils gagnent 10 euros à un jeu, mes clients les gardent dans leur porte-monnaie. Avant, ils rejouaient." Et le marchand de journaux de pester : "Rien n'a été fait pour protéger les commerçants... Je travaille avec ma femme et on a une salariée. Mais si ça continue... Surtout que les impôts, eux, n'arrêtent pas de grimper." De l'autre côté de la place, la banquière n'est pas rassurante : "Les gens ne souffrent pas encore de la crise, estime-t-elle. Ils ont peur, donc ils font attention. Ils savent que le pire est devant eux, devant nous. Alors, ils font moins de projets." Comme acheter ou faire construire une maison.
(à suivre)
Jonas- Messages : 447
Date d'inscription : 23/10/2008
Localisation : Le Havre
Re: La crise en chaîne dans un village normand
(suite)
Le marchand de biens immobiliers s'en est rendu compte : "En moins d'un an, le volume des transactions a diminué de 20 à 25%. Du coup, le prix du mètre carré baisse." Faut dire qu'en douze ans, les prix avaient flambé de 150% dans cette grande banlieue du Havre. Tout près de là, à Sandouville, M. le maire (divers-gauche) se demande bien si son futur lotissement, lancé avant la crise, trouvera acquéreurs. "Un gars qui travaille chez Renault vient de m'annoncer qu'il renonçait à faire construire, raconte Jacques Dellerie. Dans la région, tout le monde est touché. Tous les sous-traitants de la Régie sont pris à la gorge. Certains licencient, d'autres mettent les gens au chômage partiel, réduisent leur production. Les élus sont de plus en plus sollicités pour un coup de main aux salariés. Un coup de téléphone à la banque, à l'office d'HLM, un autre à l'huissier..."
"Le tissu est extrêmement fragile, reconnaît un responsable local de la Banque de France, en se gardant bien d'émettre le moindre pronostic. Nous sommes sollicités et tentons de limiter la casse." Va y avoir du boulot. Ou plutôt moins... Selon un cadre de la direction départementale de l'emploi, "un nouveau plan social est annoncé tous les huit jours. A la désagrégation du tissu industriel s'ajoute une détresse sociale grandissante. Et le fait que les services de l'Etat sont désorganisés." Confirmation au Pôle emploi : "Nous avons un millier de dossiers en retard, calcule un cadre. C'est l'engorgement au guichet. Les nouveaux chômeurs se plaignent de devoir attendre leurs indemnités. Mais, à ce rythme-là, je ne sais pas comment on va faire." Rassurant.
La situation n'est pas guère meilleure aux allocs : " Nous sommes débordés, admet un dirigeant de la CAF de Rouen. Notre stock de retard est monté à sept jours. Par rapport au dernier trimestre 2008, les sollicitations des allocataires ont augmenté de 23%. Evidemment, les demandes les plus nombreuses interviennent autour du 5 de chaque mois, lorsque les allocs sont censés tomber." Et ça fait encore ving-cinq jours à tenir...
Didier Hassoux
Le marchand de biens immobiliers s'en est rendu compte : "En moins d'un an, le volume des transactions a diminué de 20 à 25%. Du coup, le prix du mètre carré baisse." Faut dire qu'en douze ans, les prix avaient flambé de 150% dans cette grande banlieue du Havre. Tout près de là, à Sandouville, M. le maire (divers-gauche) se demande bien si son futur lotissement, lancé avant la crise, trouvera acquéreurs. "Un gars qui travaille chez Renault vient de m'annoncer qu'il renonçait à faire construire, raconte Jacques Dellerie. Dans la région, tout le monde est touché. Tous les sous-traitants de la Régie sont pris à la gorge. Certains licencient, d'autres mettent les gens au chômage partiel, réduisent leur production. Les élus sont de plus en plus sollicités pour un coup de main aux salariés. Un coup de téléphone à la banque, à l'office d'HLM, un autre à l'huissier..."
"Le tissu est extrêmement fragile, reconnaît un responsable local de la Banque de France, en se gardant bien d'émettre le moindre pronostic. Nous sommes sollicités et tentons de limiter la casse." Va y avoir du boulot. Ou plutôt moins... Selon un cadre de la direction départementale de l'emploi, "un nouveau plan social est annoncé tous les huit jours. A la désagrégation du tissu industriel s'ajoute une détresse sociale grandissante. Et le fait que les services de l'Etat sont désorganisés." Confirmation au Pôle emploi : "Nous avons un millier de dossiers en retard, calcule un cadre. C'est l'engorgement au guichet. Les nouveaux chômeurs se plaignent de devoir attendre leurs indemnités. Mais, à ce rythme-là, je ne sais pas comment on va faire." Rassurant.
La situation n'est pas guère meilleure aux allocs : " Nous sommes débordés, admet un dirigeant de la CAF de Rouen. Notre stock de retard est monté à sept jours. Par rapport au dernier trimestre 2008, les sollicitations des allocataires ont augmenté de 23%. Evidemment, les demandes les plus nombreuses interviennent autour du 5 de chaque mois, lorsque les allocs sont censés tomber." Et ça fait encore ving-cinq jours à tenir...
Didier Hassoux
Jonas- Messages : 447
Date d'inscription : 23/10/2008
Localisation : Le Havre
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