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Louis BASCAN - MONOLOGUES NORMANDS.

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Louis BASCAN - MONOLOGUES NORMANDS. Empty Louis BASCAN - MONOLOGUES NORMANDS.

Message par LORD Lun 28 Mar - 14:43

Boujou,

Louis BASCAN

MONOLOGUES NORMANDS

Ce modeste ouvrage s’adresse à ceux qui veulent rire et aussi à ceux qui veulent s’instruire. Aux uns et aux autres, je demande la permission de présenter quelques remarques.
Chaque hiver, les Élèves-Maîtres de l’École normale d’Instituteurs de Caen ont l’habitude de donner à leurs parents, à leurs maîtres et à leurs amis une séance littéraire et musicale. Cette année, par exception, nos Élèves éprouvèrent de la difficulté à composer leur programme. Certains d’entre eux vinrent me dire : « Monsieur, nous sommes très ennuyés : nous ne trouvons pas ce qu’il nous faut pour faire rire nos invités comme nous voudrions. Vous seriez bien aimable de nous écrire quelque monologue. »
Ce mot de monologue me rappela tout à coup le temps déjà lointain où, pour soutenir notre renom de gaieté chez nos voisins d’Outre-Manche, je récitais des monologues dont j’étais le téméraire auteur ; des monologues en français, bien entendu, que mes auditeurs londoniens applaudissaient sans doute parce qu’ils leur donnaient l’illusion de connaître notre langue dans ses nuances les plus fines.
Ce souvenir m’étant agréable, j’écrivis l’amusante histoire d’une Visite chez le Médecin. Traduite en patois des environs de Pont-l’Évêque et dite avec un naturel parfait par M. Pouchin, elle remporta un tel succès que plusieurs personnes, après en avoir ri de bon cœur, la demandèrent à des libraires ; leur désappointement fut vif lorsqu’elles apprirent que l’histoire ne se vendait pas.
Comme j’aime à contribuer au plaisir de mes contemporains, je conçus l’idée d’autres récits normands pour « les bons gars d’Normandie et d’aut' part. »
Ces récits, tirés en général d’observations personnelles, de conversations entendues en chemin de fer, à la campagne ou sur les places de marchés, sont ceux que j’offre aujourd’hui au public. Ils ont pour objet, d’abord, de faire rire ceux qui pensent que « rire est le propre de l’homme » ; en outre, de procurer aux psychologues et aux linguistes des renseignements utiles sur le caractère normand et sur plusieurs patois calvadosiens.
Avant d’apprécier le caractère si complexe et si curieux des descendants de ceux « qu’a conquis l’Angleterre », je préfère l’étudier encore. Je voudrais dire seulement quelques mots sur les patois recueillis dans ces pages.
Ainsi qu’on peut le constater, les six histoires qui suivent sont écrites en six patois différents du Calvados. Je tiens à remercier ici, après MM. Charles Gueblin de Guer et Arthur Marye qui m’ont aidé de leurs conseils, MM. Gast, Gautier, Brion, Esnault, Pouchin, Gallier, Élèves-Maîtres à l’École normale de Caen, qui ont bien voulu mettre à ma disposition leur connaissance des parlers des environs de Caen, de Bayeux, de Falaise, de Lisieux, de Pont-l’Évêque et de Vire. Si mes histoires ont quelque saveur locale, c’est à mes jeunes collaborateurs qu’elles le doivent en grande partie. Et pour les défendre auprès de ceux qui trouveraient à y signaler certaines expressions comme étrangères aux patois du Calvados, je me contenterai de rappeler qu’un patois quelconque, s’il est vivant, s’enrichit sans cesse de vocables empruntés à la ville, à la caserne, aux journaux et aux chansons ; qu’il y a, dans un même patois, des façons de s’exprimer particulières à tel ou tel individu ; enfin, que le meilleur moyen – je dirais volontiers, si je ne craignais d’être pédant, la seule méthode scientifique – d’étudier un patois consiste, non pas à consulter des glossaires, ni même sa propre expérience qui est toujours plus ou moins incomplète, mais à constater fidèlement l’usage actuel.
Voilà comment et dans quel esprit j’ai composé ces Monologues Normands.

L. B.
Caen, 1er juillet 1903


Où qu’ch'est qu’est la Galette ?
(En patois des environs de Caen)

No s’amusait raide ben c’sai là, tcheux l’facteur L’bailly. Dame, ch'est qu’y avait congé l’lend'main, et quant'y pouvait s’la couler douce, il en profitait por faire v'ni tcheux li san biau père et sa belle-mère, san biau-frère et sa belle-seù, l’couosin Paul, l’couosin Jules et la couosine Victorène. Sa maison n’était pas eun' mairie ben seur, mais no z'y avait tout d’même de la plache por se r'touorner.
L’père et la mère Robillard s’assiéssaient opreux d’la ch'minée comme deux vieux pigeons qu’ont besoin d’chaleù. L’ biau-frère et la belle seù, des nouvè mariés, s’mettaient en face des bonnes gens, s’ serraient l’un cont' l’aut', s’catouoillaient, s’ faisaient des malices, et, tout d’un coup, s’ tordaient comme des baleines. L’ couosin Paul était un p'tit blanc-bec qui n’ gagnait pas ben gros au Crédit Yonnais et qui n’en f'sait pas por san tabac ; avec sa rèe sus l’coté d’ l’orèle et les troè ou quat' méchants brins de poèl qui s’ battaient en duel d’souos san nez, il avait eun' tête d’ notaire ou d’ tchustos.
L’ couosin Jules, maricha de s’n état, n’li r'semblait guère. Ch'était un grand diâbe, malin comme un singe, terjoù en mouv'ment, terjoù content d’ li. Fallait l’vê entrer sans rigoler, sans dire eun' parole, pis s’ mette à embrachi tout l’ monde comme un fou, l’ couosin Paul itout qui f'sait la grimache. Fallait l’vê, c’ coquin-là, couori apreux la couosine Victorène derrière la tâbe et les quéres, l’attraper où qu’y pouvait, pis la prend' par la taille ou par sé cotillons. Fallait l’entend' alors embrachi à touor dé bras la couosine qui f'sait des magniéres pass' que y avait du monde, l’embrachi enco, et r'commenchi d’ pus belle pendant eun' bonn' minute ! Non, y avait d’ quiè s’ kerver d’ rire lorsqu’apreux c’t' abominâtion y s’en rev'nait à la ch'minée avec des z'yeux ébellouis et la moustacbe ébouorifée, pendant qu’ les p'tiots à L’bailly, qui riaient comme des bochus, fallait vê ! sautaient comme li, kerryaient comme li, mais d’eun' voix co pus vipârde, pendant qu’ dérière, la couosine Victorène, tout' rouge, r'mettait un brin d’orde dans ses g'veux et dans sa taille.
L’bailly, li, d’bout d’vant la tâbe, les bras ertroussés jusqu’aux coudes, y détrempait d’ la fleû dans eun' grand' castrole, c’qui n’ l’empêchait pas d’ rigoler des bêtises du couosin Jules… (...)

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